Les Femmes Savantes

Hypothèse

Hypothèse collective
Scénographie : Albane de Labarthe
Lumières : Célia Tanchou
Son : Lisa Fauran
Costumes : Benjamin Gournay
Promotion 84 Jeu ENSATT

Les Femmes savantes satirisent avec mordant l’affectation dans les manières et les prétentions exagérées du pédantisme. Dans un intérieur bourgeois parisien, l’influence que Trissotin, faux savant aussi prétentieux que cupide, exerce sur les femmes vient troubler les rapports entre mari et épouse, entre sœurs et entre amants. Sous les traits d’une farce, la pièce dénonce un réel fléau, une menace qui pèse sur l’équilibre familial et sur les jeunes amours. Si la critique des mondanités excessives conserve son mordant, il est difficile d’entendre depuis notre époque que l’objet du trouble prenne les traits d’une ambition « féministe » au savoir. Comment se réapproprier autant la comédie d’intrigue que celle de mœurs – dont l’ironie est maintenant vétuste – des Femmes savantes ?

Henriette (Maylis Calvet) / Armande (Maëlle Garcia Kenoui) / Clitandre (Tristan Legras)

Pour nous, l’enjeu de la pièce se situe donc moins dans un ridicule lié au genre féminin qui transgresserait sa place, mais plutôt à la façon dont les personnages sont pris dans des logiques d’influences et de pouvoir. Ils et elles tentent de s’approprier le savoir pour le savoir, et apparaissent alors pédant·es hypocrite et superficiel·les, épris·es de fausse science. Afin de transposer cette critique et sa dimension comique dans un cadre plus actuel, nous nous sommes imaginés que ce faux savoir pourrait être lié à la façon dont nous sommes pris·es dans un flux d’information sur internet et sur les réseaux sociaux. Dans cette idée, ce milieu de la haute bourgeoise qui se rêve grands seigneurs en tenant des salons, qui joue de grands mots en les comprenant mal, se trouve transposé dans ces nouvelles figures contemporaines des réseaux : celles des influenceurs et de leurs followers.

Trissotin, figure populaire des salons du XVIIe attirant autour de lui des cercles de femmes qui se flattent de pouvoir établir de nouvelles normes, devient un l’influenceur du XXIe siècle entouré de ces followers déconnectés de la réalité. Les femmes savantes, elles, sont des femmes hyperconnectées qui sont toujours en quête de ce flot d’information et d’images que brassent les réseaux sociaux. Ces derniers, comme Instagram, seraient en quelque sorte les nouveaux salons (d’ailleurs sur les interfaces de messagerie virtuelles comme Whatsapp, on appelle “salon” les conversations partagées). De la même façon que les femmes savantes se veulent un relais d’opinion influençant les normes de conduite et de langages, le Trissotin influenceur lui, se veut relais d’opinion influençant les habitudes de consommation dans un but marketing. D’un autre côté, Henriette et Clitandre, attachés aux plaisirs matériels, se situent plutôt du côté d’une forme de conservatisme, contre cette sphère des influenceurs, prétendant se situer du côté de la réalité. Sans donner raison à un camp plus qu’à l’autre, refusant de dénoncer de façon univoque « les nouvelles technologies », nous cherchons ainsi à retranscrire la morale ambiguë de la pièce, qui, si elle s’achève sur le mariage de Clitandre et d’Henriette se conclut donc aussi sur le rétablissement de l’orde patriarcal, et n’offre aucun aperçu du destin d’Armande.

Au sein de la transposition ludique et esthétique globale, de cet univers instagramable, les costumes viennent contextualiser et concrétiser les relations entre les personnages.

D’une part, ils ancrent les personnages dans une réalité proche de notre contemporanéité : celle des influenceurs, de la mode et de la superficialité en reprenant les images d’une garde-robe soignée et ajustée, qui se décline en silhouettes plus ou moins guindées ou détendues, dont les matières traduisent cependant une forme de consumérisme moderne (skai, matières synthétiques). Ces costumes proches de notre quotidienneté transposent ainsi les personnages de Molière en figures que nous connaissons tous et toutes.

D’autre part, il s’agissait également de rendre compte de l’historicité de la pièce par le biais de pièces de dentelle et de lingerie inspirées du XVIIIe. Cette dentelle soulève volontairement des interprétations multiples : en tant que touche historique, elle se fait le symptôme d’une richesse que l’on juge à la blancheur et à la finesse de la dentelle, et joue d’un érotisme du vêtement. Tout en soulignant avec humour le classicisme de Molière, la dentelle devient aussi l’expression grotesque de la mode superficielle à laquelle est attachée une partie des personnages, qui veulent étaler, comme des nouveaux riches, leur pouvoir nouvellement trouvé, par le biais du vêtement.

Le processus de recherche a donc été double : croisant à la fois l’étude des silhouettes modernes d’une jeunesse d’influenceur·ses et de leur superficialité à ce comique de la lingerie. À quoi ressemblerait cette famille bourgeoise que peint Molière ? Les costumes s’inspirent du dandysme moderne des influenceurs, de silhouettes exagérément moulées (comme celles de la famille Kardashian aux conflits internes si proches de ceux des Femmes savantes), mais également de l’épure et des monochromes volontairement travaillés par les figures d’influence comme Steve Jobs ou Marc Zuckerbeg.

Ces lignes directrices permettent une certaine déclinaison des silhouettes axée sur un jeu d’opposition : les costumes plus élaborés et guindés des influenceurs s’opposent aux silhouettes plus détendues avec de simples jeans, t-shirts et baskets des jeunes premiers. Les matières synthétiques (skai, visquose) aux couleurs appuyées (rouges vifs ou bleus électriques) du parti des influenceur·euses contrastent avec les matières plus naturelles et confortables (toile de jean, lin) et la gamme crème et pastelle du parti conservateur.

Le vocabulaire de la lingerie (chemises, jabots, galons de dentelle, roses ornementales, cols et revers) s’insère comme un système ludique entre réalisme et absurde. Cette déclinaison de dentelle offre ainsi aux acteurices un comique de geste, et vise à proposer des pièces qu’il et elles peuvent s’approprier, voire qui entrainerait des changements à vue.

Les essais au plateau et le travail de maquette ont de surcroît révélé de nombreuses potentialités de la dentelle : sa blancheur détache clairement les silhouettes au sein de la scénographie plus abstraite, mais offre également tout un jeu de transformation colorée par les lumières saturées envisagées. Cette lingerie rend également plus claires les relations entre personnages en faisant ressortir les couples, les conflits, la folie ou l’absurdité des caractères.

Dans cette proposition de mise en scène des Femmes Savantes les costumes suivent donc le projet d’un univers esthétique insatgramable en porposant une mode élégante et comique, qui ancre les personnages dans la réalité contemporaine des influenceur·euses tout en jouant de l’historicité de la pièce de Molière.

maquette en volume, miniature pour Trissotin